Expérience d’une nuit en bivouac
Cette traversée du 19 au 20 juin, entre Morgins et Tannay (Le Flon) par les crêtes (2750 m. de dénivelé positif avec un sac de 14 kg) a été pour moi un moment unique. C’est la première fois que je partais seul pour un isolement complet de 24h. Marcher seul la journée est une chose, se retrouver à 20h sur un sommet isolé en est une autre. Seule compagnie presque envahissante : des bouquetins dont il semble que j’aie pris la place pour la nuit. Ils finiront par se résoudre à me laisser le pied de la croix et ne reviendront que le matin (enfin, j’imagine car je dormais…)
Solitude… Ce n’est pas la même chose que isolement. Cette première nuit au sommet du Linleu a été possible grâce au petit névé que j’ai trouvé proche du

sommet. Car l’un des éléments essentiels pour la réussite d’une telle traversée est l’eau. Et croyez-moi, sur des crêtes, ce n’est pas évident à trouver…
Au sommet, la vue est dégagée, une impression d’être au-dessus des difficultés, ou en tous cas de pouvoir les surmonter, vous habite.
Ce fut un moment magnifique, avec un ciel étoilé intense et, en ce jour d’été, à peine quelques heures sans que l’horizon ne soit hâlé d’une lumière d’aurore ou d’aube…
Deuxième jour, il faut se remettre en route. Évaluer les premières fatigues évaluer ses capacités pour la suite…
Je croise quelques personnes, on discute, on est en relation. Et puis, depuis le sommet des Cornettes de Bises, atteintes plus lentement que prévu, il faut projeter la suite… Se fixer de nouveaux objectifs…
Le moral alors commence à changer. Après avoir donné beaucoup pour atteindre l’objectif maintenant atteint, il faut se remotiver… seul !
C’est dans ma nature : je tergiverse, j’hésite, je débats avec moi-même… Et je choisis un nouvel objectif.
Seulement, arrivé tôt sur place, je réalise que je suis dans une combe, que je ne peux pas monter sur la crête car il n’y aura pas d’eau, et que c’est un coin extrêmement isolé… Il y a solitude et isolement… Ici, ce n’est plus moi qui suis « au-dessus des difficultés », mais la montagne me domine, elle m’écrase presque. Je n’ai absolument pas envie de rester ici… Je fuis, la fatigue aidant, je mets un terme à mon aventure solitaire de deux jours.
Cela m’aura appris qu’il y a solitude (volontaire) et isolement, et j’ai appris à faire la différence. La montagne n’est pas la même non plus vue du haut ou du bas… Me confronter à mes limites, voilà qui est une belle richesse de ce temps sabbatique et une expérience hors du commun.
Certes, dans ma vie, il est plus facile de voir les montagnes (de difficultés) d’en-haut, mais il est également bon de se rappeler que lorsque la montagne vous apparaît écrasante d’en-bas, l’isolement n’est pas la solution…?
PS: la suite m’aura donné raison puisque je n’aurais pas eu assez de gaz pour me chauffer mon souper et mes litres de thé. Là, mon moral serait tombé sous les chaussettes (le thé du matin avec de la neige non fondue, très peu pour moi)…
Etj/24juin2018
Par temps de brouillard…
On trouve ce récit dans la Bible (Jean 9,35 – traduction de la TOB): « Jésus répondit [à ses disciples] : ’La lumière est encore parmi vous pour un peu de temps. Marchez pendant que vous avez la lumière, pour que les ténèbres ne s’emparent pas de vous : car celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va.’ »
Un jour que je marchai dans le brouillard, à ski, et donc pris dans un jour blanc ne me permettant pas de distinguer les reliefs du terrain, j’ai pensé à ce texte de Jean, en remplaçant « ténèbres » par « brouillard »…

« La lumière est encore parmi vous pour un peu de temps. Marchez pendant que vous avez la lumière, pour que le brouillard ne s’empare pas de vous : car celui qui marche dans le brouillard ne sait où il va. »
Seigneur,
Dans le brouillard de ma vie,
il m’arrive de m’égarer,
de ne plus trouver le chemin,
de tomber parce que je suis désorienté.
Garde mes pas, soit ma boussole.
Quant à moi, je garderai la confiance que bientôt, le brouillard va se lever.
Amen
Etj/2mars2018
Suite à une nouvelle journée de ski dans le brouillard…
Il arrive, en hiver, ou en été sur un glacier, que le ciel rejoigne la terre. C’est le jour blanc, un brouillard épais qui empêche de distinguer les reliefs et qui donne au randonneur le sentiment de marcher sur le ciel…

La vue altérée, d’autres sens se mettent en alerte: le toucher, qui donne des impressions sur la qualité de la neige, sur sa dureté, sa profondeur, sa résistance, sur la pente aussi. L’équilibre, qui vous dit si vous montez ou si vous descendez, si vous êtes à flanc de coteaux ou à plat. L’ouïe, qui perçoit les bruits imperceptibles autrement, malgré les sons étouffés par la neige et le brouillard. L’ouïe qui permet de s’orienter au son du vent, au piaillement de l’oiseau, à l’onde du ruisseau, à la voix de l’inconnu invisible…
Si on arrive à surmonter sa peur, c’est une expérience très riche, qui éprouve le courage et qui donne à percevoir différemment la montagne.
Dans ma vie, dans ma foi, il m’arrive de me retrouver dans un jour blanc, je ne vois plus très bien où je vais… En surmontant mes ressentiments, ma frustration et ma peur, il me sera peut-être donné de percevoir ce qui m’entoure et ceux qui m’entourent avec d’autres sens, d’autres sentiments. Garder l’équilibre, percevoir les changements, écouter sont alors des richesses pour « voir » autrement…
Etj/24avril2018
Expérience interdite autorisée
Le sommet n’est pas loin, déjà je vois la croix qui indique le point culminant, le but à atteindre. Mais jusqu’au bout, il faut que je reste concentré, attentif à chaque pas, le précipice à gauche et à droite attirant le regard.
Lorsque le doute s’insinue en moi, que je commence à douter d’un jour y arriver, je me tourne vers le sommet, je regarde cette croix qui me tend ses bras (!). Je sais qu’au-delà, sur l’autre versant de la montagne, une sente agréable m’offre une retraite plus facile.

Les yeux levés vers les sommets, je médite cette phrase du psalmiste: « Je lève les yeux vers les montagnes… » (Psaume 121) Un pas après l’autre, je franchis les obstacles, et j’atteins enfin le sommet convoité.
Seigneur,
C’est vers Toi que je me tourne.
Mon regard est attiré, presque obnubilé,
par la croix qui marque le sommet.
C’est la croix de la victoire,
celle qui marque la réussite,
celle qui indique que c’est possible…
Mais plus que le sommet,
cette croix est celle vers laquelle converge toutes les arêtes,
toutes les faces de la montagne.
Toute la montagne semble se retrouver ici,
dans ce poteau vertical avec ses bras ouverts qui concentrent tous les regards.
Pour chacun, cette croix est le symbole du but à atteindre.
Mais pour moi, se peut-il qu’elle représente le signe
que Tu es Celui vers qui se tourne mon regard…?
Amen
Etj/5juin2018
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